31‏/05‏/2012

Comment le Raï se meurt à Oran


Comment le Raï se meurt à Oran

Sur les 75 maisons de disques que comptait la ville, 73 ont fermé ces dernières années. Premier volet de notre enquête: autopsie d’une mort annoncée.

La reine du Raï, Cheika Rimiti, lors d'un concert en mars 2001. REUTERS/Stringer

Près de l’ex-prestigieux hôtel Timgad, en plein centre-ville d’Oran, à l’angle de deux rues anciennes, une vieille boutique fermée.
C’est Disco Maghreb, vendeur des K7 d’autrefois, des disques plus anciens, éditeur et label de prestige qui a produit la première génération des Raï Men algériens.
Celle que la France et le reste du monde connaissent bien aujourd’hui: Mami, Khaled le king, Zahouania, Cheikha Rimitti aussi -enterrée dans l’anonymat en 2006, boycottée par la télévision et les médias du régime...
La devanture, rideau de fer baissé, est décrépit, vieillie et usée. Comme l’industrie du Raï, ces dix dernières années, dans la capitale de l’ouest, là où elle est née.

«73 éditeurs sur les 75 que compte la région ouest du pays ont été contraints de mettre la clé sous le paillasson et changer d'activité. Un chômage forcé dicté par la fermeture de plusieurs sociétés confrontées au phénomène du piratage artistique et intellectuel»,
rapportait le Quotidien d’Oran, à l’occasion d’une journée mondiale qui sonne comme un caprice à Oran: la célébration de la journée mondiale de la propriété intellectuelle, le 26 avril dernier.

Les «éditions autoroute» montrent la voie

Le piratage «ces dernières années est massif, industriel, en quantité. Sa capitale est une ville à l’est de l’Algérie, son marché est partout», nous confie un journaliste oranais spécialiste du créneau.
Les pirates ont aussi leurs réseaux. Les petits revendeurs sur les trottoirs d’Oran, sont des «dealers» de la voix volée, pas des grossistes. Ils en n’ont pas les moyens. «Des éditeurs font de la copie illégale pour amortir les pertes et y mettent le paquet en terme de parc informatique, dans les vieux garages de la ville.»
Sauf que, ces derniers temps, on ne fait plus dans le piratage grossier.
«Les revendeurs inondent, depuis quelques mois, le marché avec des CD mieux faits, des jaquettes parfaites et les logos d’éditeurs fictifs gravés sur la face du CD lui-même, pour faire plus professionnel.»
Cela se fait où? «En Tunisie, depuis quelques mois». Ces maisons d’édition fantômes ont même un nom qui en dit long: «édition autoroute». Du nom de l’autoroute algérienne est-ouest. Suivez le regard.

Un disque rayé

Pour faire face au phénomène, le milieu des éditeurs Raï, pères mythiques du genre, s’est donc adapté aux lois du marché des graveurs qui font circuler des dizaines de milliers de copies par jour rien qu'à Oran. Quelques éditeurs font donc eux aussi dans leurs quotas de «CD pirates pour amortir le coût et les pertes sur les CD avec timbres de l’ONDA».
Explication: l’ONDA est l’Office national des droits d’auteur en Algérie. La police anti-pirate. Les produits et les CD mis en vente par les éditeurs Raï doivent toujours porter un timbre fiscal et de garantie, le timbre ONDA. «Sauf qu’avec le coût de ce timbre (13 dinars algériens, soit environ 14 centime d’euro), la jacquette, la pochette et les autres charges fiscales, le CD d’origine coûte trois fois plus que le CD piraté et le client a vite fait son choix», nous explique notre source.
«C’est un manque à gagner. Une bonne distribution de K7 est estimée à 90 %. Maintenant, nous avons 70 % de piratage de K7 et CD du produit. Ils (les pirates) ne nous ont laissé que 30 % d’exploitation du produit», expliquait en 2002 déjà le patron de Disco Maghreb.

Zone franche après 17 heures

Quant aux descentes des agents de l’ONDA pour saisir les produits pirates, elles sont perçues comme une plaisanterie: une opération saisonnière permet de saisir des copies d'une valeur de 2 à 3.000 dinars quand le marché en brasse des milliers par jour!
Pour éviter les contrôles mous, les jeunes revendeurs n’étalent de toute façon leur marchandise qu’après 17 heures: c’est l’heure fin de travail pour les fonctionnaires et donc l’heure de l’Etat qui va dormir. A partir de 17 heures, c’est la zone franche et les revendeurs à la sauvette le savent: ils ne risquent ni contrôles, ni saisies de marchandise. C’est aussi l’heure de sortie des bureaux et des guichets.
En rentrant chez eux, les fonctionnaires achètent, en lots et en vrac aussi pour passer la soirée. C’est qu’en Algérie, mis à part regarder un DVD pirate ou un match sur El Jazeera ou une autre chaine occidentale piratée, il n’y a rien à faire. Sauf prier en public ou boire en cachette et écouter le Raï entre hommes, ou entre femmes. Ou les deux en même temps dans les cabarets.

Pirater le piratage

La solution conçue par les éditeurs survivants à Oran est donc simple: fini les contrats complexes avec les chanteurs Raï sous contrat complexe, les droits d'un album sont achetés une fois pour toute. Environs 2.000 euros, par exemple, pour un lot de sept chansons. A cela s’ajoute les frais de production, le studio et la régie en plus des marges de la distribution.
«L’éditeur met alors sur le marché 2.000 exemplaires avec timbre puis s’en remet à Dieu et à l’ONDA pour amortir son investissement», nous explique-t-on. A partir de la mise en vente légale du CD, le CD est piraté, massivement et sans délais.
L’éditeur se retourne alors vers l’ONDA qui lui verse, cycliquement, des droits d’auteurs sur les chansons dont il a acquis définitivement les droits. L’éditeur amortit donc les frais de production sur cette aubaine, maigre mais assurée. C’est la formule qui fait mode aujourd’hui entre chanteurs et éditeurs survivants.
Les droits acquis, la maison de disque peut également éditer des compilations presque tous les trois jours pour inonder le marché et «doubler» les pirates.

La face cachée des éditeurs

D’autres éditeurs, plus aventuriers, amortissent le crash par la mise en vente de plusieurs lots de CD sans timbre, en parallèle à la commercialisation de CD «légaux».
«Ils font eux aussi dans le piratage. Des CD, des DVD de films, des films interdits... Tout y passe.»
Sauf que le Raï, celui du bon vieux temps y a perdu son âme, ses chanteurs, son industrie et son avenir.
A Oran, les disquaires d’autrefois n’existent presque plus. Ils sont remplacés par les revendeurs de trottoirs, dealers à la sauvette du CD pirate qui coûte moins cher à la fabrication, à la vente et qui s’écoule sans impôts et sans traces.
Oran, pour les journalistes étrangers et les amateurs du son, reste la capitale du Raï, presque exotique. On y vient, on n’y voit rien et on repart avec des images. La vérité est plus cruelle : c’est une ville Potemkine pour celui qui cherche les sources du Raï. Le graveur y a remplacé le chasseur de voix, le studio et l’art du pays.
Kamel Daoud




voir aussi son autre article http://www.slateafrique.com/88101/conservatisme-tue-le-rai-oran-islamisme

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